Les variations de l'alcoolémie, en fonction de la nature de la boisson alcoolisée consommée

Métabolisme de l'éthanol | Cinétique de l'alcoolémie
Concentration plasmatique et bière sans alcool


Après consommation d'une boisson alcoolisée, la concentration plasmatique d'alcool varie en fonction de nombreux paramètres propres au consommateur, mais fluctue également chez le même individu selon les circonstances de cette consommation. Ainsi, les variations de l'alcoolémie sont inter et intra-individuelles.

Les variations inter-individuelles sont essentiellement conditionnées par le sexe et le poids du sujet. A quantité égale d'alcool pur et à poids identique, l'alcoolémie est plus importante chez la femme que chez l'homme. A quantité identique d'alcool pur, plus le sujet est mince, plus l'alcoolémie est importante.

Les facteurs de variations intra-individuelles dépendent du moment de l'absorption, de l'état de plénitude gastrique, de la composition du repas, etc.

A côté de ces facteurs propres au sujet et/ou aux circonstances de la consommation, la nature de la boisson alcoolisée influence-t-elle l'évolution de l'alcoolémie ?


Métabolisme de l'éthanol


L'éthanol n'est pratiquement pas absorbé au niveau des muqueuses buccale et oesophagienne tandis qu'au niveau gastrique son absorption est faible. Il existe dans la paroi de l'estomac de petites quantités d'alcool déshydrogénase, enzyme transformant l'éthanol en acétaldéhyde. Les taux d'alcool déshydrogénase sont réduits chez les femmes, les consommateurs abusifs de boissons alcoolisées et lors de la prise de certaines thérapeutiques.

Lors de la vidange gastrique, le contenu de l'estomac franchit le pylore, l'éthanol étant ensuite préférentiellement absorbé au niveau du duodénum et du jéjunum. Seule une très faible fraction (moins de 10 %) est éliminée sans être dégradée dans les urines, la sueur et les poumons.
L'absorption et la diffusion de l'éthanol dans la circulation sont en partie conditionnées par l'état de plénitude gastrique : si l'estomac est vide, l'éthanol diffuse rapidement dans la circulation en 15 à 30 minutes. Lors de la consommation d'une boisson alcoolisée au cours d'un repas, surtout si ce dernier est riche en graisses, l'absorption et la diffusion sont ralenties (atteignant plus de 60 minutes).

Après absorption au niveau de l'intestin grêle, l'alcool diffuse dans la circulation, porte et parvient au foie, lieu de prédilection de son oxydation (90 %). Trois voies métaboliques sont possibles :

- La voie la plus classique est celle de l'alcool déshydrogénase, utilisée lorsque la dose d'alcool est inférieure à 80-100 mg/kg de poids corporel/heure. Cette voie transforme l'alcool en acétaldéhyde puis en acétate, grâce à l'acétaldéhyde déshydrogénase, avant d'être transformé en acétyl co-enzyme A (qui pourra rejoindre le cycle de Krebs afin d'y être oxydé). Cette voie dépend de la disponibilité en NAD+ (Nicotinamide Adénine Dinucléotide), co-enzyme de l'alcool déshydrogénase.

- La deuxième voie est le système microsomique oxydant l'éthanol ou système MEOS dont le constituant principal est le cytochrome P 450. Cette voie peut être utilisée en cas de consommation modérée, de manière concomitante à la précédente voie. Au niveau de ce système, il existe une incompatibilité et une compétition entre l'éthanol et certaines substances, notamment médicamenteuses.

- La dernière voie est celle de la catalase-peroxydase. Elle se développe en raison de la saturation des deux voies précédentes lors de consommations abusives de boissons alcoolisées. L'oxydation de l'éthanol par cette voie entraîne une oxydation des acides nucléiques hépatiques provoquant des lésions secondaires importantes au sein des hépatocytes.




Influence de la nature de la boisson alcoolisée sur la cinétique de l'alcoolémie


La courbe dite de Widmark (figure n°6) décrit la cinétique, en quatre phases, des concentrations d'alcool dans le sang et l'air expiré :
- Ascension de la concentration d'alcool, correspondant à l'absorption de l'éthanol au niveau du duodénum et du jéjunum (phase 1)
- Plateau (phase 2)
- Phase 3 correspondant à la diffusion de l'alcool dans l'organisme
- Décroissance secondaire à l'oxydation principalement hépatique de l'éthanol qui disparaît progressivement de la circulation (phase 4)

Figure n°6 : Cinétique théorique des concentrations d'alcool dans le sang et l'air expiré (D'après la courbe de Widmark)



Figure n°7 : Alcoolémies après consommation de 0,5 g d'alcool pur/kg de poids selon le type de boisson (D'après Lereboullet J.)



Une étude multicentrique, menée à Paris et Lille, par le Professeur Jean Trémolières, montrent que des sujets sains des deux sexes consommant à jeun des quantités d'alcool pur identiques (0,5 g par kg de poids corporel) sous forme de bière, de vin ou de whisky ont un pic de l'alcoolémie différent selon la boisson. L'alcoolémie la plus basse est obtenue après consommation de bière.

Piendl A. a réalisé une synthèse des données bibliographiques concernant seize études expérimentales menées chez l'homme. L'objectif de toutes ces études est de comparer les cinétiques de l'alcoolémie en fonction de la nature de la boisson alcoolisée consommée.

Dans ces situations expérimentales, des sujets sains consomment à jeun différentes boissons alcoolisées contenant des quantités d'alcool pur équivalentes. La dose varie entre 0,5 et 1 gramme d'alcool par kg de poids corporel (soit 35 à 70 grammes d'alcool pur pour un adulte de 70 kg).

- Plus la concentration d'alcool de la boisson est élevée, plus l'alcoolémie est importante.

- L'ascension de l'alcoolémie est plus lente après consommation de bière par rapport à d'autres boissons alcoolisées plus concentrées (whisky mélangé à de l'eau gazeuse, solution d'alcool à 8 %, brandy, vodka, spiritueux, etc.).

- Après consommation de bière, le pic de l'alcoolémie (c'est-à-dire la concentration maximale d'éthanol dans le sang) est inférieur à celui obtenu avec les autres boissons alcoolisées précédemment citées.

- La décroissance de l'alcoolémie est plus rapide avec la bière par rapport aux autres boissons étudiées (figure n°7).


Après consommation de vin, l'évolution de l'alcoolémie est intermédiaire entre les cinétiques obtenues avec des boissons plus concentrées en alcool et celles après consommation de bière (Lereboullet J. ; Springer E.). La bière présente toujours la courbe la plus plate.

Après consommation de 1 gramme d'alcool/kg de poids corporel, sous forme de whisky, de vin ou de bière, l'alcoolémie maximale atteinte avec la bière est de 0,96 g/l en 120 minutes, de 1,05 g/l avec le vin en 100 minutes et de 1,15 g/l en 81 mn pour le whisky (Wojahn H.).

Lorsque l'on compare des bières distinctes par leurs concentrations en alcool, les résultats sont identiques aux études précédentes. Pour une quantité similaire d'alcool ingéré, la bière dont la teneur est la plus importante, induit une ascension de l'alcoolémie plus rapide, un pic de concentration plus élevée et une décroissance plus lente par rapport aux bières dont la concentration d'alcool est plus faible (Goldberg L.).

Ces résultats expérimentaux chez l'homme sont-ils reproductibles quelle que soit la quantité d'alcool administrée ?

Smith et Coll ont mesuré les alcoolémies après consommation de bière ou de whisky dilué au "ginger ale", en utilisant des doses d'alcool pur de 0,25, 0,5, 0,75, 1,0 et 1,5 g/kg de poids corporel. Quelle que soit la dose utilisée, le pic de l'alcoolémie après consommation de bière est inférieur et retardé par rapport à celui obtenu après consommation de whisky.

Les différences entre les cinétiques se majorent lorsque la quantité d'alcool pur ingérée augmente.

La concentration maximale d'éthanol varie pour les bières entre 0,83 et 0,88 g/l, pour les vins entre 1,0 et 1,25 g/l et pour les whiskies entre 1,04 et 1,12 g/l.

Le temps nécessaire à l'apparition du pic de l'alcoolémie est plus tardif avec les bières par rapport aux autres boissons. Pour la bière, il est de 83 à 106 mn, pour le vin de 50 à 115 mn et pour le whisky de 51 à 71 mn.

Une seule étude, rapportée par O'Neill en 1983, ne met pas en évidence de variation de l'alcoolémie selon la nature de la boisson consommée chez 64 adultes ayant reçu 0,5 ou 1 gramme d'alcool pur/kg de poids corporel sous forme de bière, de champagne, de whisky ou de whisky dilué. Le pic de l'alcoolémie et le temps nécessaire pour l'atteindre dépendent de la dose d'alcool plutôt que du type de la boisson ou de la vitesse de la consommation selon cette étude.

Les seize études rapportées par Piendl A. objectivent une différence entre les cinétiques des alcoolémies selon la nature de la boisson consommée. La bière, dont la concentration en alcool est la plus faible, entraîne une ascension plus lente, un pic maximal inférieur et une décroissance plus rapide de la concentration d'éthanol dans le sang par rapport au vin et aux autres boissons alcoolisées, administrées à quantités équivalentes d'alcool pur.


Les variations de l'alcoolémie, en fonction du type de boisson consommée, peuvent en partie être expliquées par la dilution de l'alcool pur, la présence ou non de glucides dans la boisson alcoolisée, l'état de réplétion de l'estomac (vide ou plein) et l'intensité des concentrations péristaltiques favorisant la vidange gastrique. Vingt sujets buvant de la bière ou du brandy ont bénéficié d'une mesure de la vidange gastrique. Quinze des vingt sujets ayant consommé de la bière ont une vidange gastrique retardée. La vidange gastrique dépend de très nombreux facteurs dont certains sont inhérents à la boisson.

Quels sont les facteurs responsables de ce retard de la vidange gastrique (hydrates de carbone, houblon, volume du liquide ingéré, capacité de tampon de la boisson, propriétés physiques, concentrations d'alcool, etc.) ?

Une étude récente publiée en janvier 1998 par Stowell (J Forensic Sci) a comparé l'estimation de l'alcoolémie après prise de boissons alcoolisées au cours des repas avec les taux sanguins.

Les auteurs ont estimé que l'alcoolémie diminuait de 10 à 20 mg/dl/heure après la période de consommation. Cette estimation se trouve confortée par les dosages sanguins et permet donc d'avoir une estimation proche de la réalité (1).

La composition du repas influence l'alcoolémie. Un repas riche en hydrates de carbone diminue le pic d'alcoolémie maximal et ce, deux heures après l'ingestion de la boisson alors qu'un repas riche en protéines n'a pas d'effet (2).

Références bibliographiques

1. Estimation of blood alcohol concentrations after social drinking.
Stowell AR, Stowell LI
J Forensic Sci 1998 Jan;43(1):14-21
2. Effects of meal composition on blood alcohol level, psychomotor performance and subjective state after ingestion of alcohol
Finnigan F, Hammersley R, Millar K
Appetite 1998 Dec ; 31(3) : 361-75

Références bibliographiques

- Goldberg L. - In "Swedish Research in Malt Beverages" Meddelande Nr 15 fran Institute for Maltdryksforskning. Stockholm, 1965 : 17-20.
- Lereboullet J. - Bull. Acad. Nationale de Médecine, 1970, 154 : 427.
- O'Neill B. - Variability in blood alcohol concentrations ; implications for estimating individual results. J. Studies Alcohol, 1983, 44 : 244-230.
- Piendl A. - Consumption of alcoholic beverages and Blood Alcohol levels. Convention of Alaface, Caracas, Venezuela, october 4, 1978.
- Smith L. J., Boudreau A., Chappel C. L., Gillespie W. L., Quastel D. M. J. - Report of the Alcoholic Beverage Study Committee, Brewers Association of Canada, Ottawa, 1973 : 164.
- Springer E. - Blutalkohood, 1971, 8 : 84.
- Trémolières J. - Connaissance de la bière. Supplément au fascicule 4 des Cahiers de Nutrition et de Diététique, 1975.
- Wojahn H. - Blutalkohol, 1972, 9 : 159.




Un cas particulier : la concentration plasmatique d'alcool après consommation de bières dites sans alcool


Les bières dites sans alcool contiennent en moyenne 4 à 6 g d'alcool pur par litre (soit pour 330 ml, 1,3 à 2 g d'alcool).
Ces bières dont la teneur en alcool est réduite sont-elles susceptibles d'entraîner des variations des concentrations sanguines d'éthanol ?

Soixante sujets volontaires sains ont consommé le matin à jeun, à quatre jours d'intervalle, trois bières de teneur en alcool différentes : deux bières dites sans alcool (à 0,5 % et 0,9 %) et une bière à 2,9 % n'appartenant pas à cette catégorie (Professeur Jacques Weill, alcoologue à la Faculté de Médecine de Tours). La bière est donnée à jeun à des doses importantes (0,8 litre pour les femmes et 1 litre pour les hommes pour 1,60 m2 de surface corporelle).

Les deux bières dites sans alcool n'induisent pas d'alcoolémie décelable chez près de la moitié des sujets.

L'alcoolémie moyenne des sujets reste inférieure à 0,005 g/l après consommation de bière à 0,5 %. Elle est de 0,008 g/l pour la bière à 0,9 % et de 0,242 g/l après la bière à 2,9 %. Les alcoolémies après consommation des bières dites sans alcool ne diffèrent pas de manière significative.

La concentration maximale de l'alcoolémie est inférieure à 0,07 g/l pour les deux bières dites sans alcool. Elle atteint 0,5 g/l pour la bière à 2,9 %.

Lors de la consommation des deux bières dites sans alcool, les quantités d'alcool sont de 4 à 6 grammes ingérés en 25 minutes (soit 0,16 à 0,24 g/mn). Le foie est capable d'oxyder une quantité moyenne de 0,125 g d'éthanol par minute c'est-à-dire environ la quantité consommée par les sujets dans cette situation expérimentale. Les alcoolémies obtenues sont très faibles, peut-être en raison du métabolisme précoce au niveau gastrique. L'éthanol qui diffuse ensuite dans la circulation est rapidement oxydé au niveau du foie, expliquant que la moitié des sujets ont une alcoolémie non décelable tandis que l'alcoolémie ne dépasse pas 0,008 g/l pour l'autre moitié.