Pr Pierre FOSSATI

La bière actuelle | De la bouillie de céréales, au pain et à la bière
De la boisson des dieux à la boisson de la santé
La cervoise dans la Gaule franque | La bière en Flandre
Louis XIV, la bière et le monopole royal | La bière sous la révolution francaise
La bière au XIXème siècle | La bière du XXème siècle à nos jours


L'histoire de la bière est passionnante : des premières bières bues avant le déluge jusqu'à nos jours, des offrandes aux dieux, breuvages de la force, de l'immortalité, de la vie, à notre boisson actuelle, reconnue pour sa saveur.

La bière, pain liquide de première nécessité jusqu'au XIXème siècle, a évolué avec son mode de consommation.

Mise à l'index, elle a été accusée de nombreux maux : de favoriser l'obésité, le diabète, les dyslipidémies, de conduire à l'alcoolisme. On n'avait même plus bonne conscience à la consommer modérément dans son contexte convivial et festif.

On peut heureusement corriger son image et lui redonner la place qu'elle mérite. Consommée avec modération, sans les abus de toute nature, dont l'ingestion d'un excès de matières grasses, la bière n'est pas qu'une simple boisson de détente pour apaiser la soif, mais une boisson riche de traditions et aux multiples effets, susceptibles de préserver la santé.


La bière actuelle


La bière est une boisson obtenue par fermentation alcoolique d'un moût auquel il a été ajouté du houblon.

Le moût peut être d'origine diverse : il peut provenir du malt d'orge pur ou associé à une autre céréale comme le froment ou l'avoine. Selon la composition du moût obtenu après le maltage de la céréale, on obtiendra des bières différentes comme les bières blanches à partir de moût fromenté.

La fermentation est obtenue à partir de levures pures, mais elle peut être lactique (Bière blanche de Berlin) ou spontanée à partir de levures naturelles et autres micro-organismes (Lambic et Gueuze Belges par exemple).

Le houblon, qui contient de la lupuline, est l'arôme généralisé depuis le milieu du XVème siècle, époque où le nom de bière a été utilisé pour remplacer le terme de cervoise, "bière" non houblonnée. De nombreux arômes étaient d'ailleurs utilisés jusqu'à ce siècle, et ils peuvent encore être présents dans certaines bières, en association au houblon.

La nature de l'eau et son origine peuvent également faire l'originalité d'une bière, par sa composition en sels minéraux et sa saveur. Dans tous les cas, elle doit être d'une grande pureté chimique et bactériologique.

La bière est aussi une boisson alcoolisée. Les bières titrant moins de 4,5 degrés (degrés Gay-Lussac - volume alcoolique pour 100 ml), sont dites de table ; celles titrant de 4,5 à 5,5 degrés sont les bières dites de luxe et représentent la majeure partie des bières actuelles ; certaines bières du Nord ont un titrage supérieur pouvant aller jusqu'à 12 degrés. Il existe aussi des bières "sans alcool" titrant moins de 1 degré. On doit donc tenir compte de ce degré alcoolique pour éviter toute alcoolisation, car la consommation moyenne en France est de 36,2 l/habitant/an et elle est dans le Nord de la France de 90 l/habitant/an (un peu plus que dans l'Est) où 60 % des hommes et 30 % des femmes en consomment tous les jours.

La bière possède une valeur nutritive et des vertus médicinales voire thérapeutiques, rapportées depuis l'Antiquité. Certaines propriétés sont actuellement reconnues, à la condition que la consommation soit modérée afin d'éviter tout risque d'alcoolisation excessive. La prudence s'impose donc dans sa consommation.




De la bouillie de céréales, au pain et à la bière


Dès la période mésolithique en Europe (- 9 000 ans avant J.C.) puis néolithique (- 5 000 ans avant J.C.), l'homme a cueilli puis cultivé des céréales. Les céréales moulues puis bouillies ont servi à préparer des soupes épaisses et des bouillies claires. De celles-ci, oubliées et fermentées à l'air libre, sont nés les premiers pains et la première bière ou pain liquide ; tous deux ont la même origine. La bière a pu naître dans toute région où l'on cueillait ou cultivait des céréales, peut-être en Egypte, au XXème siècle avant J.C.

Parmi les plus anciens écrits du monde évoquant la bière, des tablettes d'argile datant de la seconde moitié du IVème millénaire avant J.C., furent découvertes en Mésopotamie et sont actuellement au British Museum de Londres. Ces tablettes de la civilisation Sumérienne relatent le déluge et l'épopée de Gilgamesh, le Noé Sumérien, qui transportait de la bière sur l'Arche antique (selon des récits identiques à ceux de la Bible). La bière était une boisson commune des Sumériens, bue avant le déluge... Par la suite, les Babyloniens, héritiers de cette civilisation, ont laissé plusieurs recettes de bière, à l'orge ou à l'épeautre. Le grain devait être utilisé non décortiqué, ce qui était plus facile avec l'orge, pour protéger le germe (premier maltage), avant de le faire bouillir dans l'eau très pure, ce qui en fait la première boisson hygiénique. La boisson était plutôt épaisse, ce qui a fait longtemps dire : "pain buvable - bière mangeable".

Les Egyptiens devinrent ensuite des brasseurs réputés. Leur bière fut très appréciée des Grecs qui la firent découvrir en Espagne, en Gaule, en Germanie où elle va connaître une grande expansion.

Est-ce l'Egypte ou la Mésopotamie qui est à l'origine de la première bière ? Ou bien est-elle née dans toute région cultivant des céréales ? L'orge a été cultivé dès 7000 ans avant J.C. en Extrême Orient, et a été amené en Europe par les Celtes. Quelle fut l'influence de la route de l'Ambre entre le Moyen-Orient et la mer Baltique dans la découverte de la "bière" ? L'Europe Septentrionale, avec le développement des cultures céréalières et l'absence de vigne, allait donner un essor considérable à cette boisson.

Selon les régions du monde, les céréales utilisées pour sa fabrication pouvaient être différentes : le maïs en Amérique, le mil en Afrique, le riz en Asie. Le Saké japonais est dans une certaine mesure, une bière de riz très alcoolisée.




De la boisson des dieux, de l'immortalité et de la fête, à la boisson de la santé


En Mésopotamie

4000 à 5000 ans avant J.C., le "Pain de Bière" d'orge malté dénommé Sikaru, parfumé aux épices, à la cannelle, aux dattes, au miel, fut une offrande divine destinée aux déesses de la guérison : Niturba (déesse de l'épeautre et de l'orge) et Nidaba (déesse des boissons de grains). Sikar en Hébreux signifie d'ailleurs l'ébriété, aussi la Bible ne la nomme jamais et St Jean-Baptiste ne devait pas boire cette boisson enivrante.

La bière devint rapidement une boisson courante. Portée à ébullition lors de sa préparation, elle était une boisson nutritive et hygiénique eu égard à la rareté de l'eau potable. La valeur de la bière était double : valeur religieuse et valeur médicale, lorsque utilisée en lavement et comme agent anti-contagieux : "si tu veux vivre, bois de la bière".

En Assyrie

La fabrication de la bière était très réglementée. Des punitions sévères étaient infligées par le roi Hammurabi, auteur du code le plus ancien du monde. Ainsi, les prêtresses consommatrices étaient enterrées vivantes.

En Egypte

Selon la légende, Osiris fit une décoction d'orge avec l'eau sacrée du Nil qu'il oublia au soleil. Le "vin d'orge" d'Osiris, dieu du soleil et des brasseurs, était né. Sa soeur Isis, qui devint sa femme, était la déesse des céréales. La "bière" était offerte aux dieux et aux défunts, mais elle était très appréciée des vivants. Les Egyptiens devinrent des brasseurs réputés. L'une des premières bières, Zythum ou Zythos, était fabriquée à Peluse dans le delta du Nil ; elle était la propriété du Pharaon. A l'époque, la bière est considérée comme une offrande religieuse et comme une boisson festive. Elle devint une boisson d'accueil (parfumée au cumin et au safran, ou sucrée par des dattes ou du miel) mais également une valeur économique, utilisée comme monnaie d'échange ou de paiement des salaires. Le Papyrus d'Ebers, - 1 500 ans avant J.C, rappelle les utilisations de la bière en médecine où elle est utilisée comme excipient de diverses préparations pour traiter :
- maux d'estomac : bière et noyaux de dattes, plante (sâm) et fruits (chacha)
- constipation : bière, ricin, olive, pin, pignon
- énurésie : bière, raisin, miel, graines de genévrier
- cystite : bière, cheveux de terre
- ténia : bière, coloquinte, mucilage
- gencives : bière et pulpe de dattes
- contraception : bière, décoction d'huile et de céleri à usage local
- anémie : bière et fer

La mousse de la bière était également utilisée comme cosmétique par les élégantes et, associée à l'oignon, était conseillée comme un délicieux remède contre la mort après les piqûres de scorpions.

En Grèce

La bière était très appréciée des Athéniens. Hippocrate a consacré un traité sur la bière, "Le Zythogala", qui décrit ses vertus curatives. Il y est précisé son action diurétique, fébrifuge, ainsi que ses propriétés bienfaisantes sur les affections gastriques et intestinales : bière associée à l'ail, la graisse de boeuf, l'absinthe et les plantes stomatiques.

Les Romains

Les Romains préféraient le vin à la bière. Néanmoins, ils en reconnaissaient les vertus. Ils rapportent l'effet lactogène de la bière et la conseille aux femmes allaitantes.

Les Vikings

Ils possédaient deux types de bière :
- La Bjor : boisson des dieux et des guerriers, origine des mots « bière » et « beer »
- L'Ol : boisson profane des celtes païens à l'origine du mot « ale » des Anglo-saxons
Les Vikings préparaient leur bière sur leur bateau et elle les préservait du scorbut et de la pellagre.

Les Celtes

Ils réservaient l'hydromel (préparé à partir du miel) aux religieux et la bière aux guerriers. La bière apportait la force et l'immortalité. Ils connaissaient le procédé du maltage.

Gaulois et Gallo-Romains

La bière était la boisson des Gaulois, la potion magique des guerriers. Au premier siècle avant J.C., la Gaule faisait partie des pays consommateurs de bière. Il n'y avait pas de brasserie comme en Mésopotamie ou en Egypte, la bière était ménagère, fabriquée par les femmes. Elle était appelée brace (qui a donné le mot brasserie). Le dieu de la bière était Sucellus, la divinité tenant le maillet des tonneliers d'une main et une cruche de l'autre. Le tonneau, d'invention celte et gauloise remplaçait, l'amphore dans laquelle était conservée la bière en Egypte.

Les Gallo-Romains ont appelé la bière cerevisia, de Ceres, déesse des moissons, soeur de Jupiter et de vis qui signifiait la force. Cette appellation est à l'origine de la cervoise, terme qui persistera jusqu'à l'introduction généralisée du houblon. En interdisant la viticulture dans les régions aptes à la culture des céréales, l'empereur Domitien répartit en Gaulle les boissons, la cervoise au Nord et le vin au Sud. Cette mesure a donné un essor important à la civilisation de la bière.




La cervoise dans la Gaule franque : influence du christianisme et des abbayes


Les invasions du début du Vème siècle vont ouvrir la Gaule aux Francs.

La dynastie des Mérovingiens fit beaucoup pour le développement de la bière.
Le roi Dagobert (629 - 632) va créer le premier monastère à Elnon (St Amand), pour préparer la cervoise. Celle-ci va progressivement devenir la propriété des moines. Les Francs vont arroser leur repas de cervoise, dont la "Brumalis Canna" aromatisée au gingembre et aux fruits. La cervoise était bue dans des verres en bois ou en terre cuite, puis en marbre et en métal précieux.
La cervoise n'était pas filtrée après fermentation, aussi contenait-elle des résidus de céréales, riches en protéines. Il s'agissait alors d'un véritable aliment.

Saint-Arnould, Bénédictin, évêque de Metz (fin du Vème siècle) va devenir le Saint Patron des Brasseurs. Il avait constaté que les buveurs de cervoise avaient moins de risques digestifs que les buveurs d'eau (de piètre qualité hygiénique à l'époque). Il mit ainsi fin à une épidémie de choléra en incitant la population à boire la cervoise qu'il avait brassée avec sa crosse et qu'il avait bénie.

Charlemagne, descendant de Saint-Arnould par Pépin le Jeune, puis Charles Martel et Pépin le Bref, son père, qui devait se souvenir des leçons de son aïeul sur les vertus de la cervoise, pris un certain nombre de décisions en faveur de la bière, lors de son séjour à Valenciennes (771 - 775).
- Il créa le domaine royal d'Annapes pour la préparation de la cervoise saine et hygiénique.
- Il forma le corps des inspecteurs itinérants pour parcourir son empire et veiller à la qualité de la cervoise.
- Il accorda aux moines le monopole du brassage de la cervoise.
- Les moulins se développèrent pour le concassage du malt.

Les moines, très experts en herbes officinales, les utilisaient pour aromatiser la cervoise selon des recettes tenues secrètes. Le gruyt (ou guyt) était composé de coriandre, genièvre, romarin, gingembre, marjolaine.

Louis 1er le Débonnaire, fils de Charlemagne, créa une brasserie modèle à l'Abbaye de Corbie, dans la Somme, où s'initiaient les spécialistes de la cervoise qui allaient colporter les recettes jusqu'en Westphalie.




La Flandre, du Moyen Age à la Renaissance : de la cervoise à la bière


Au temps des comtes de Flandre et du Hainaut (du IXème au XIVème siècle), la cervoise brassée par les religieux est une source importante de revenus, grâce à la création du droit du gruyt.

Chaque monastère possède une auberge où les pèlerins trouvent gîte, couvert et chope de cervoise. Les moines fabriquent plusieurs qualités de bière : la meilleure (prima melia) pour les pères et hôtes de marque, la moyenne (seconde) pour les frères laïques et l'ordinaire (tertia) réservée aux pèlerins.

Ce commerce n'est pas sans entraîner les critiques et s'attire les foudres des seigneurs, mécontents de ne pas profiter de cette activité lucrative, ainsi que des brasseurs laïcs lourdement imposés (droit de gruyt).

Le terme de brasseur va très vite apparaître : celui qui remue le brai (malt et eau) ou qui prépare la brace (nom celte de la cervoise). En Flandre, le brasseur était aussi appelé le cambier (du mot néerlandais camb qui veut dire brasserie). On consommait à l'époque environ 500 l par habitant et par an de cervoise.
Le houblon, de la famille des cannabinacées, était connu comme une plante de santé par les riverains de la Baltique à la période néolithique. On a pu faire appel à la route de l'Ambre pour la diffusion vers les régions méridionales. Les Romains consommaient les cônes de houblon en asperges, ce qui est devenu également une habitude flamande. Le houblon était connu par les Francs dès le VIIIème siècle et l'on peut penser qu'il était utilisé (en secret) par les moines pour préparer une cervoise limpide. Les moines de Saint-Denis et ceux de Saint-Rémy (près de Reims) possédaient une houblonnière, don de Pépin le Bref, pour les premières cervoises au houblon, Cervesia Humuleira. L'utilisation du houblon dans la préparation de la bière semble être une trouvaille flamande.

Le houblon était également connu pour ses vertus apéritives, diurétiques, antiseptiques, soporifiques et... aphrodisiaques.

En 1070, l'abbesse Sainte Hildegarde, dans son ouvrage sur les sciences naturelles, développe les propriétés du houblon pour combattre certaines fermentations nuisibles et permettre aux boissons fermentées une plus longue conservation.

Les évêques (en particulier à Liège et à Cologne) vont longtemps s'opposer à l'usage du houblon sous prétexte de son influence sur l'homme, mais surtout pour garder le privilège des aromates qu'ils utilisaient.

C'est au cours du XIIIème siècle que le métier de brasseur commence à se développer véritablement hors des monastères. Les brasseurs ou cambiers s'organisent en corporations appelées guildes qui s'entraident et représentent un moyen de défense vis-à-vis du pouvoir religieux. En France, sous Saint-Louis, Etienne Boileau (Prévôt à Paris) rédige en 1268 le premier statut des cervoisiers.

Au XIIIèmee siècle apparaissent les cafés ayant une licence, les autorisant à vendre de la cervoise. Jusqu'à cette période, la vente de la cervoise est un privilège réservé au brasseur corporatiste. Chaque brasserie possède une salle de débit. Les cabarets payant licence s'annoncent la nuit en allumant deux lanternes. Les autres cabarets ne suspendant qu'une lanterne, cette pratique serait à l'origine du "cabaret borgne".

Au XIIIème siècle apparaît un personnage mythique "Cambrinus (du mot camb), à cheval sur un tonneau" célèbre pour ses capacités à ingurgiter de la bière (110 pintes par jour). La pinte à Lille correspondait à l'époque à 0,530 l.

La Flandre Bourguignonne (de 1328 à 1519)

Pendant cette période, le commerce de la cervoise puis de la bière houblonnée est florissant, tandis que celui du vin est en baisse.

Du XIVème au XVème siècle, l'usage du houblon se répand. Jean Sans Peur, duc des Flandres et de Bourgogne, généralise l'usage du houblon. Il crée à Lille, l'ordre du Houblon d'Or, met fin au droit du gruyt et, en 1435, la cervoise houblonneuse prend le nom de bière. La cervoise non houblonneuse et la bière vont coexister jusqu'à la fin du XVème siècle et seule la bière va perdurer.

Le terme de Cervoise deviendra très vite archaïque et folklorique à partir du XVIIème siècle.

En France, sous Charles VIII, le mot bière apparaît pour la première fois en 1489 dans le statut des Brasseurs de Paris. Une ordonnance royale en 1495 (Louis XI) recommande aux brasseurs "de faire bonnes et loyales servaises et bière sans y mettre que grain, eau et houblon". La bière ne peut être fabriquée que par des maîtres brasseurs. Des gardes-jurés, assermentés, sont chargés de contrôler la fabrication et de mettre un sceau sur le tonneau.

Pendant ce temps-là, une véritable révolution va survenir en Angleterre. On parle d'une nouvelle boisson venant de Hollande nommée "beer" qui heurte les partisans de l'antique ale (cervoise anglaise non houblonnée). Il faudra près d'un siècle pour que la beer soit acceptée les deux termes Ale et Beer vont devenir synonymes...

La Flandre Espagnole : XVIème siècle et début de la Renaissance

Charles Quint né à Gand, fit beaucoup pour le développement de la bière houblonnée.

Ainsi, Charles Quint :
- diminue les taxes sur le houblon
- crée la fête de la cueillette du houblon : "Hommelpa"
- crée également l'ordre des Broutteux : les porteurs de bière et l'ordre des Brouquins : droit de brasserie (la brouquin était une variété de bière).

A la même époque, en France, la qualité du houblon commence à être contrôlée par les mêmes jurés.

Bière et médecine pendant cette période

A cette époque, on se réfère à l'enseignement d'Hippocrate : la cervoise puis la bière sont reconnues pour leurs vertus diurétiques, fébrifuges et stomachiques.

Les traités allemands de l'époque reconnaissent également les propriétés antilithiasique urinaire, nutritive, antiseptique et fortifiante de la bière.




Louis XIV, la bière et le monopole royal


Après le monopole de brassage des religieux sous Charlemagne, Louis XIV, pour renflouer sa trésorerie, vend en 1694 en Flandre, Hainaut et Artois des charges héréditaires, les offices de jurés brasseurs. Ces offices donnent le privilège exclusif de brasser la bière. Le mécontentement est vif car la qualité de la bière n'est pas toujours respectée malgré la création "d'offices de gourmets" chargés de goûter la bière. En 1697, ce monopole est supprimé et les corporations de brasseurs retrouvent leurs prérogatives avec leurs Maîtres Brasseurs et compagnons, l'apprentissage se faisant par tradition orale.




La Révolution française, la bière et la disette


En 1789, les corporations de brasseurs disparaissent. Les menaces de famine réorientent les céréales panifiables vers la fabrication du pain. Dans le Nord, on consommait à l'époque environ 100 l/habitant/an de bière, la privation de la bière est vivement ressentie par la population, dont la santé s'altère. Celle-ci retrouvera son état avec le retour à la consommation journalière.

En 1734, une "lettre de la bière" était publiée par un médecin valenciennois avec l'approbation du censeur royal de la Faculté de Médecine de Paris. La bière était qualifiée de "pain liquide", ce qui témoignait des préoccupations nutritionnelles de l'époque.

A la fin du XVIIIème siècle, la bière est souvent considérée comme un produit de première nécessité.




La bière au XIXème siècle : découvertes scientifiques, essor florissant et notion de l'alcoolisme



Biologie et technicité

La découverte de la diastase du malt en 1833 par Payen et Persoz permet de comprendre la transformation de l'amidon en maltose fermentescible. Plus tard en 1897, Buchner isolait de la levure, la diastase alcoolique, responsable de la fermentation.

Gay-Lussac, en 1815, qui a repris les travaux de Lavoisier a montré que la fermentation provoquait la formation de gaz carbonique et d'alcool éthylique.

En 1857, les brasseurs du Nord de la France demandent à Louis Pasteur d'étudier la nature de la levure que l'on appelait ferment et d'essayer de comprendre les accidents de fermentation avec certaines levures.

En 1859, Pasteur montre que la "fermentation est un acte vital" et que la fermentation alcoolique est liée à un phénomène simultané "d'organisation, de développement et de multiplication de globules (levure)".

En 1871, Après ses premières découvertes, Pasteur s'intéresse vivement à la brasserie. Il met en évidence les micro-organismes infectant la levure qui sont à l'origine du trouble de la bière et du mauvais goût. Les mesures de prévention sont indispensables pour préserver la pureté des levures et dans la brasserie Vauban à Lille, il précise les techniques de "pasteurisation" applicables à la bière.

En 1876, Pasteur fait paraître les "Etudes de la bière" dont l'emploi des "levains purs, indispensables pour obtenir des bières franches au goût et à la conservation".

La palme dans l'utilisation des technicités et de l'hygiène revient à la Brasserie Velten à Marseille, qui mit en place, dès 1859 la première installation frigorifique pour refroidir les caves et dès 1866, le procédé qu'on appela ensuite "la pasteurisation" de la bière.

En 1893, le Danois Hensen démontra qu'une cellule unique de levure, obtenue à partir d'une souche pure, est susceptible de provoquer la fermentation du moût de malt. En 1886 est mise au point la culture d'une souche pure de levure, ce qui allait permettre d'obtenir une fermentation reproductible dans des conditions optimales.


Les souches de levure sont adaptées à la fermentation basse (6 à 12° C) ou à la fermentation haute (15 à 25° C). A une première fermentation qui transforme 90 % des matières fermentescibles, peut s'ajouter une seconde dite de garde.

La découverte du pH, au début du XXème siècle par Sorensen en 1909 allait jouer un rôle définitif sur la stabilité de la bière.

L'essor de la bière dans le Nord de la France

Les progrès industriels et la meilleure connaissance de la fabrication de la bière allaient permettre une expansion de l'industrie de la bière sans toutefois perturber les fabrications artisanales, garantes des méthodes traditionnelles.

Chaque village dans le Nord-Pas-de-Calais possède sa brasserie, certains en ont même plusieurs. En 1890, 13 336 brasseries étaient connues dans la région.

Pratique locale, après le brassage, la bière retirée, on ajoutait de l'eau sur la drèche (résidu du malt) que l'on portait à ébullition pendant plusieurs heures, pour former une petite boisson agréable, "la petite bière".

Bière et Médecine

Outre la bière - aliment, le Répertoire Général du Pharmacien Pratique (1858) reconnaissait 13 recettes de bière médicinale où, comme au temps des Pharaons, la bière servait d'excipient.

Bières :
- à l'oeillet pour les troubles neurologiques
- au genièvre pour l'ascite
- à la sauge pour les troubles ORL
- au quinquina pour les troubles intestinaux
- à la valériane pour le sommeil...


Au XIXème siècle pour l'hygiéniste, l'ivresse n'est plus un péché mais de l'alcoolisme et cette notion doit rester attachée à la consommation excessive de bière.




Bière du début du XXème siècle à nos jours


Essor des brasseries jusqu'à la première guerre mondiale

En 1910 : Il existait dans le Nord de la France 1 929 brasseries. La France (Alsace-Lorraine non comptée) comptait alors 2 827 brasseries.
La tradition brassicole du Nord, région non viticole, expliquait cette forte concentration.

Pendant la guerre, beaucoup de brasseries furent détruites et leur modernisation nécessaire allait encore réduire leur nombre : en 1939 il ne restait plus que 919 brasseries (selon G. Czczesniak auteur de « Brasseurs et bière du Nord » - 1996).

Les brasseries après la seconde guerre mondiale

Industrialisation, regroupement, changement d'habitudes alimentaires vont intervenir. Les enfants ne prennent plus de bière comme au XVIIIème siècle, l'eau minérale et les sodas sont de plus en plus consommés. La lutte contre l'abus d'alcool est menée. En 1960, il n'existe plus que 71 brasseries, puis 45 en 1968 et 23 en 1976.

Renouveau et retour à la tradition

On assiste très progressivement au retour et à la sauvegarde de la bière artisanale et des recettes culinaires.

En 1996, on pouvait compter 167 brasseries dans le Nord-Pas-de-Calais et depuis 1980, le concept de micro-brasserie-restaurant, né à Lille, tend à se développer.

Bière et Médecine

Un livre de 1954 "Bière et Santé" de H. Guilpin, Ed. de la Planète (Paris), rappelle les utilisations traditionnelles de la bière, basées sur les faits d'observation au cours de l'histoire de la civilisation. Sa valeur nutritionnelle est retenue ainsi que ses propriétés digestive, laxative, diurétique, sédative, lactogène. Une meilleure connaissance de la bière, basée sur des études scientifiques et épidémiologiques montrent que la bière consommée avec modération permet de conserver l'équilibre pondéral et de diminuer les risques de mortalité cardiovasculaire.

Les effets néfastes de la bière sont liés aux excès glucido-lipidiques associés, responsables des hypertriglycéridémies et de l'obésité.

L'alcoolisme est le plus souvent mixte dans le Nord. Chez l'homme alcoolique, 39 % de l'alcool consommé revient à la bière, 40 % au vin et 21 % aux spiritueux. Chez la femme alcoolique, 40 % de l'alcool consommé revient à la bière, 39 % au vin et 17 % aux spiritueux. Le tabagisme est le plus souvent associé à l'alcool. Sur le plan épidémiologique dans le Nord, il a été montré une relation alcool-tabac et aussi un excès de consommation en graisses, association susceptible d'intervenir dans de nombreuses pathologies.

Une consommation modérée de bière permet un apport favorable à l'équilibre alimentaire. Les excès sont à bannir, cela est vrai pour tout aliment, la bière y compris.

On peut donc boire un verre de bière, lorsque l'on surveille l'ensemble de sa consommation de boissons alcoolisées.