La bière fait-elle grossir ?

Les données experimentales | Les données épidémiologiques
Les données épidémiologiques récentes | Bière à table


Les données expérimentales


Chez l'animal

Les données expérimentales menées chez l'animal montrent que la bière, administrée per os ou par sonde intragastrique, n'entraîne pas de variation significative du poids. Des rats recevant différents types de vins ont une hausse significative du poids qui n'est pas observée avec la consommation de bière (Gorinstein S., Lancaster F., Louis-Sylvestre J.).

Le rat semble capable, en regard d'un surplus énergétique apporté par la bière per os, de modifier ses ingesta alimentaires.

Chez l'homme

L'homme est-il capable, comme les modèles animaux expérimentaux, d'adapter ses apports énergétiques en regard d'un surplus modéré dû à la bière ?
Au Centre de Nutrition Humaine de Nancy, le Professeur Gérard Debry a analysé l'influence d'une consommation modérée et régulière de bière au cours des repas principaux sur l'évolution du poids. Cette étude, menée chez treize hommes volontaires sains, a reçu l'accord du CCPPRB de Nancy.

Les sujets, âgés de 23,4 ± 0,4 ans, ont tous un poids normal et stable (Indice de masse corporelle moyen de 22 ± 0,4 kg/m2) (Indice de masse corporelle = IMC = poids/taille2 en kg/m2). Pendant toute la durée de l'étude, l'activité physique reste stable. Chaque sujet reçoit en plus d'une alimentation ad libitum, soit 330 ml de bière au cours des deux repas principaux (le complément des besoins hydriques étant apporté par de l'eau), soit de l'eau. Chaque boisson est administrée pendant une période de quatre semaines, les deux séquences étant séparées par une phase libre de quinze jours. Les repas principaux sont consommés sur le lieu de l'étude et les petits-déjeuners sont fournis à chaque sujet le soir pour le lendemain matin. Les menus des jours homologues d'une semaine à l'autre sont semblables. Le poids est mesuré deux fois par semaine, les ingesta appréciés par pesée des aliments et des restes. L'apport calorique journalier correspondant à la bière est de 269,4 kcalories réparties de la manière suivante : 21 grammes de glucides, 2,6 grammes de protides et 25 grammes d'alcool.

Tout au long de l'étude, le poids ne varie pas de manière significative lors de la période "bière", lors de la période "eau" et entre les deux périodes (figure n°1).

Figure n°1 : Evolution pondérale chez treize hommes sains de poids normal et stable (D'après Debry G.)



Les données expérimentales chez l'homme sont donc en accord avec les travaux conduits chez l'animal. La bière consommée en quantité modérée pendant quatre semaines au cours des repas du midi et du soir ne fait pas grossir des sujets volontaires, sains, de poids normal. Qu'en est-il en dehors des conditions expérimentales ? Afin de maintenir un poids stable, l'homme de poids normal parvient-il à intégrer le surplus énergétique dû à une consommation régulière et modérée de bière ?




Les données épidémiologiques


Les études épidémiologiques ne montrent pas de relation significative entre la consommation de boissons alcoolisées et les variations du poids (études de Jones B. R., Colditz G. A. et Verschuren P. M.). D'après les travaux de Jacobsen B. K., l'indice de masse corporelle augmente avec le niveau de consommation des spiritueux. Les relations entre indice de masse corporelle et niveaux de consommation des boissons alcoolisées sont négatives chez les hommes pour la bière et chez les femmes pour le vin. Beeb H. T. a suivi, pendant six à douze mois, une centaine de sujets dont la consommation moyenne d'alcool était de 20 g/j (soit 10 à 15 % des apports énergétiques totaux). Aucune variation pondérale significative n'a été observée dans cet échantillon.

Dans une étude récente, MANNISTO (Eur. J. Clin. Nut. 51 (5) 1997 - 326 - 337) montre que les consommateurs modérés de boissons alcoolisées ont un BMI inférieur aux abstinents (1 848 sujets de 25 à 64 ans).
Chez les sujets suivis de manière prospective (2 000 Danois), GENSEN (UGESKR. LAEGER, 1997, 159:10, 1443-7) ne montre pas d'association entre prise de poids et consommation de bière.

Dans une étude épidémiologique danoise concernant 2 000 sujets essentiellement buveurs de bière, il n'y a aucune relation entre la prise de poids et la consommation de boisson alcoolisée (7).

Au Centre de Médecine Préventive de Nancy, le Professeur Alain Bagrel a suivi 1 378 hommes consultant spontanément pour bénéficier d'un examen de santé. Chaque volontaire a rempli un questionnaire permettant d'apprécier le type et la quantité des boissons (alcoolisées ou non) habituellement consommées.

36,5 % des sujets interrogés déclarent boire le plus souvent une boisson alcoolisée : 18,5 % sous forme de bière, 18 % sous forme de vin.

L'indice de masse corporelle ne diffère pas significativement selon le type de boisson consommée (eau, boisson sucrée, bière ou vin) et ce après ajustement sur l'âge : pour l'eau, IMC de 24,8 ± 1,1 kg/m2 ; pour les boissons sucrées, IMC de 24,1 ± 1,1 kg/m2 ; pour la bière, IMC de 24,4 ± 1,1 kg/m2 ; pour le vin, IMC de 24,5 ± 1,1 kg/m2.

Il n'existe pas de différence significative de l'indice de masse corporelle entre les consommateurs modérés (< 17 g/j) et ceux buvant une quantité supérieure ou égale à 17 g/j, tant pour les consommateurs de bière que pour les consommateurs de vin (figure n°2).

Une étude récente va à l'encontre de ces données en mettant en évidence une relation favorable entre alcool et poids dans les deux sexes.
Les femmes qui consomment régulièrement de l'alcool avec modération ont un indice de masse corporelle inférieur à celui de femmes qui ne boivent pas d'alcool et ceci malgré une ration calorique légèrement supérieure.

Le paradoxe est encore plus frappant chez les hommes : les buveurs modérés ne sont pas plus gros que les non-buveurs malgré une prise calorique nettement plus importante (10).

Figure n° 2 : Comparaison des indices de masse corporelle selon les quantités d'alcool consommées et le type de boisson (D'après Bagrel A.)



Dans cet échantillon de sujets consultant spontanément dans un centre de médecine préventive, il n'existe pas de différence significative entre l'indice de masse corporelle chez les buveurs de quantité modérée de bière, de vin ou d'autres boissons.

Ces résultats sont-ils reproductibles dans un échantillon de la population générale ?

Une étude est actuellement réalisée à un niveau familial dans le Nord de la France sur les habitudes alimentaires de la population. Les données alimentaires sont recueillies sur les enquêtes alimentaires (portant sur deux jours de la semaine et un jour de week-end ou jour férié) et vérifiées par une diététicienne se rendant au domicile de chaque famille. Une partie du questionnaire est orientée sur les consommations des boissons (alcoolisées ou non). Les premières données analysées portent sur les enquêtes alimentaires des parents des enfants scolarisés soit 671 adultes dont 332 hommes et 339 femmes, ayant respectivement un âge moyen de 37 ± 6 ans et 35 ± 6 ans.

25,6 % des hommes déclarent boire de manière habituelle de la bière, 10,8 % du vin, 10,5 % des boissons non alcoolisées et 53 % de l'eau. Chez la femme, la consommation habituelle de bière est plus faible (8,26 %) tandis que les consommations d'eau et de boissons non alcoolisées sont plus importantes (respectivement 76,4 % et 13,6 %).

Quel que soit le type de boisson habituellement consommée, il n'existe pas de différence de l'indice de masse corporelle tant chez les hommes que chez les femmes (tableau n°4).

Tableau n°4 : Indices de masse corporelle selon le type de boissons consommées


En résumé, les travaux expérimentaux chez le rat et les études expérimentales et épidémiologiques chez l'homme ne mettent pas en évidence de relation entre la consommation modérée et régulière de bière et les variations pondérales.

Il n'existe pas d'association chez l'homme entre la consommation de boissons alcoolisées et l'index de masse de corpulence mais une association avec les paramètres d'insulinorésistance (4).




Les données épidémiologiques récentes


Dans une étude suédoise menée chez les femmes obèses, les auteurs ont examiné les relations entre les apports alimentaires estimés par des questionnaires de fréquence, de restriction alimentation, de désinhibition, et de faim.

Chez 179 femmes obèses ayant un BMI supérieur à 32, et 147 non obèses, les femmes obèses ont une consommation énergétique plus importante (2 730 calories contre 2 025), ainsi qu'une consommation en graisses plus importante mais une consommation en boissons alcoolisées plus faible (1).

D'autres études confirment ces observations. Dans une population de 985 femmes et 863 hommes, les auteurs montrent que les différences de régime alimentaire entre les abstinents et les consommateurs d'alcool sont plus significatives qu'entre les consommateurs de boissons alcoolisées différentes.

Chez les buveurs, les apports en graisses représentent une part plus importante de l'apport énergétique global et les apports en hydrates de carbone sont plus bas que chez les abstinents.
Dans cette étude (2) les consommateurs d'alcool sont plus maigres que les abstinents.

Une étude auprès du personnel hôtelier de Suisse alémanique étaye ces données. Les buveurs excessifs ont un risque accru d'obésité abdominale, mais les abstinents ont eux aussi un poids supérieur aux consommateurs modérés (8).

Dans une étude finlandaise, les buveurs de boissons alcoolisées sont plus minces que les abstinents (6).

Dans une étude de population brésilienne portant sur la prévalence des facteurs de risque de l'obésité chez l'adulte, l'alcool n'est pas associé au poids ou à un index de masse de corpulence (5).

A l'instar de l'étude réalisée chez les buveurs de bière, Cordain a conduit aux Etats-Unis chez 14 hommes, une étude sur les relations entre consommation de vin rouge et poids pendant 6 semaines.

Les conclusions sont rigoureusement identiques à celles de l'étude Debry, à savoir que l'addition de 2 verres de vin rouge à chaque repas n'influence pas la variation pondérale (3).

La consommation d'alcool atténue la prise de poids à l'arrêt du tabac, selon les résultats d'une étude portant sur plus de 1 200 employés israéliens (9).

Références bibliographiques

1. Dietary intake in relation to restrained eating, disinhibition, and hunger in obese and nonobese Swedish women.
Lindroos-A-K, Lissner-L, Mathiassen-M-E, Karlsson-J, Sullivan-M, Bengtsson-C, Sjostrom-L.
Obes-Res 1997 May, VOL: 5 (3), P: 175-82
2. Alcohol beverage drinking, diet and body mass index in a cross-sectional survey.
Mannisto-S, Uusitalo-K, Roos-E, Fogelholm-M, Pietinen-P.
European-Journal-of-Clinical-Nutrition 51 (5). 1997. 326-332
3. Influence of moderate daily wine consumption on body weight regulation and metabolism in healthy free-living males.
Cordain-L, Bryan-E-D, Melby-C-L, Smith-M-J.
Journal-of-the-American-College-of-Nutrition 16 (2). 1997. 134-139
4. Inluence of alcohol consumption and various beverages on waist girth and waist-to-hip ratio in a sample of French men and women.
Dallongeville J, Marecaux N, Ducimetière P. Ferrieres J., Arveiler D.Int J.
Obes Relat Metab Disord 1998 Dec ; 22 (12) : 1173 - 83
5. Prevalence and risk factors of obesity in adults
Gigante DP, Barros FC, Post CLA. Olinto MTA.,
Revista de Saude Publica 31 (3) 1997, 236 - 246
6. Alcohol beverage drinking, diet and body mass index in a cross sectional survey
Mannisto S., Uusitalo K., Roos E., Fogelholm M., Pietinen P.
European Jouranl of Clinical Nutrition 51 (5). 1997 - 326 - 332.
7. The influence of dietary factors on weight change estimated by the use of multivariate graphical models
Jörgensen LM, Sörensen TI, Schroll M, Larsen S
Ugeskr Laeger, 1997, Mar 3, 159 : 10, 1443-7
8. Alcohol-risk factor for overweight
Meyer R, Suter PM, Vetter W
Schweiz Rundsch Med Prax 1999 Sep 23 ; 88(39) : 1555-61
9. Smoking cessation and body mass index of occupationally active men : the Israeli CORDIS study
Froom P, Kristal-Boneh E, Melamed S, Gofer D, Benbassat J, Ribak J
Am J Public Health 1999 May ; 89(5) : 718-22
10. The insulin-sensitizing activity of moderate alcohol consumption may promote leanness in women.
McCarty MF
Cancer Treat Rev 2000 May;54(5):794-797




L'explication : une consommation modérée et régulière de bière au cours du repas entraîne une modification des ingesta alimentaires


Quels sont les mécanismes permettant d'expliquer l'absence de variation pondérale chez l'homme malgré le surplus énergétique apporté par la bière consommée en quantité modérée au cours d'un repas ?

L'absence de variation pondérale peut être secondaire soit à une réduction des apports alimentaires, soit à une majoration des dépenses énergétiques, soit à la combinaison des deux.

Les modèles expérimentaux animaux, notamment le rat, permettent d'évoquer une explication. Les études de J. Louis Sylvestre et N. J. Rothwell mettent en évidence l'existence d'une augmentation des dépenses énergétiques lors de la consommation d'alcool, compensant le surplus énergétique.

Chez huit hommes de poids normal, Jéquier et coll ont mesuré les dépenses énergétiques lors de l'addition à l'alimentation de quantités importantes d'alcool (représentant 25 % de l'apport énergétique total) ou lors de la substitution d'une partie des apports alimentaires par l'éthanol (25 % de l'apport énergétique total sont remplacés). On constate d'une part une élévation des dépenses énergétiques et d'autre part une diminution de l'oxydation lipidique, suggérant un stockage plus facile des lipides lors de la consommation d'alcool.

L'augmentation des dépenses énergétiques compense sans doute partiellement la majoration du stockage des graisses.

L'étude réalisée au Centre de Nutrition Humaine du Professeur Gérard Debry, citée dans les précédents chapitres, montre qu'il n'existe pas de différence significative des apports caloriques totaux et des consommations respectives en glucides, lipides et protides entre les périodes “bière” et “eau” des semaines homologues (figure n°3).

Figure n°3 : Apports énergétiques totaux et de chacun des nutriments, chez treize sujets sains de poids normal et stable, en fonction du type de boissons
(D'après Debry G.)




Malgré le surplus énergétique apporté par la bière (269,4 kcalories par jour), l'apport alimentaire total n'est pas modifié tout au long de l'étude. Qu'en est-il alors des répartitions énergétiques totales et de chacun des nutriments au cours de la journée ?

Lors de la période "bière", il existe au petit-déjeuner une élévation significative de l'apport énergétique portant principalement sur les apports en glucides.

Au déjeuner, il n'existe pas de différence entre les apports caloriques des deux périodes "bière" et "eau".

Dès la troisième semaine de la période "bière", l'apport énergétique des collations de l'après-midi est également diminué par rapport à la période "eau", essentiellement par réduction des apports en hydrates de carbone. Les collations de l'après-midi représentent 3,2 % des apports caloriques totaux en fin de période "bière" et 6,2 % en fin de période "eau" (figure n°4).

Figure n° 4 : Apports énergétiques au cours des collations
(D'après Debry G.)




Figure n° 5 : Apports énergétiques au cours du dîner (D'après Debry G.)



Au dîner, l'apport énergétique est plus important lors des deux premières semaines de la période "bière" puis diminue pour redevenir identique à l'apport du dîner lors de la période "eau". Ces variations sont rapidement décelables, et ce dès la troisième semaine de consommation de bière (figure n°5).

Ainsi, chez des hommes sains, de poids normal et stable, la consommation régulière au cours des repas principaux d'une quantité modérée de bière (660 ml soit 269,4 kcal en plus par jour), n'entraîne pas de variation significative du poids. Ceci est en partie expliqué par des modifications rapides de la répartition des apports énergétiques dans la journée sans variation de l'apport calorique total, malgré l‘apport supplémentaire dû à la bière. La réduction des apports caloriques prédomine en fin de journée (au moment des collations et du dîner) et porte principalement sur les glucides.